Ma première interview dans la Revue du Violoncelle

J’ai eu le privilège après un concert d’échanger quelques mots avec la violoncelliste Jeanne Dorche et j’ai été surprise de la place que tient l’enseignement dans ses propos.

Je lui ai demandé si cela devenait une composante essentielle de ses activités.

J.D. L’enseignement est l’une de mes activités. Je me considère avant tout comme musicienne sur scène, et l’enseignement complète et nourrit ma pratique de la musique. Je pense que je ne pourrais pas uniquement enseigner, l’appel de la scène est trop important ! Cela dit, dans les circonstances actuelles de crise sanitaire où de nombreux concerts sont annulés, l’enseignement, oui, est devenu mon activité principale.

C’est la situation sanitaire qui vous y a poussée ?

J.D. Absolument pas, j’ai toujours aimé enseigner, et je n’enseigne pas plus que d’habitude ! Je suis professeur au conservatoire de Paris 6eme et au conservatoire de Nancy, et j’ai également une classe d’élèves particuliers.

Et vous avez aussi une chaîne Youtube. En quoi cela consiste-t-il ? Elle est payante ? On doit s’inscrire ?

J.D. Ma chaîne Youtube est une page dans laquelle sont réunies toutes mes vidéos. Tout est gratuit bien sûr. Vous n’êtes pas obligée de vous inscrire mais c’est mieux, car vous pourrez alors vous abonner, et être prévenue lorsqu’une nouvelle vidéo est publiée. 

Que contient votre chaîne ?

J.D. Cette chaîne est dédiée au violoncelle et présente plusieurs types de contenus. 

Tout d’abord, les tutoriels. Ce sont de petites capsules de 3 à 5 minutes, dédiées à un sujet spécifique. La tenue d’archet, les démanchés, le vibrato… cela peut être n’importe quel aspect technique du violoncelle. Le temps manque pour rentrer dans le détail, mais je propose des conseils concrets et applicables tout de suite, quel que soit votre niveau. J’aime à avoir un enseignement clair et accessible, en allant droit au but. 

D’autres vidéos, courtes elles aussi, parlent de sujets divers, comme la gestion du trac, la concentration, les mauvaises habitudes. Ces vidéos contiennent des conseils pour s’améliorer, tout en étant déculpabilisantes, car tous les violoncellistes bataillent avec ce genre de problèmes. 

Il y a également des vidéos d’entretiens avec de grands violoncellistes, qui racontent leur carrière, des anecdotes, leurs conseils aux élèves… je trouve que c’est inspirant de les écouter parler, et d’apprendre par où ils sont passés pour en arriver là où ils sont.

Enfin, des entretiens avec des professionnels liés à notre pratique du violoncelle. La technique Alexander par exemple, qui est très utile pour les musiciens de tout âge et de tout niveau. 

Sont-elles progressives comme une méthode ?

J.D. Non, pas de progression à suivre. Le but de ces tutoriels est de vous donner ce que vous cherchez quand vous visitez la chaîne. Pour l’instant, la majorité des vidéos sont à l’usage de violoncellistes débutants, ou qui jouent du violoncelle depuis peu. Seulement quelques vidéos comme par exemple celles sur le vibrato ou le staccato sont des techniques plus avancées. A terme, je souhaite couvrir l’enseignement du violoncelle jusqu’à un niveau supérieur, mais je m’occupe avant tout des sujets de base de l’instrument, et il y en a déjà énormément. 

Savez-vous combien de gens vous suivent sur ce media ?

J.D. J’ai un peu plus de 2400 abonnés à ce jour, et c’est en constante progression. Cela m’encourage à continuer, car j’ai vraiment l’impression d’apporter de la valeur à des passionnés du violoncelle.

Quel succès ! Qui plus particulièrement ?

J.D. Je pense qu’il y a un peu de tout, mais principalement des adultes amateurs. Cette chaîne complète en général très bien l’enseignement qu’ils reçoivent de leur professeur. Ce sont des sortes de « piqûres de rappel ». Certains adultes amateurs apprennent le violoncelle sans professeur, et je pense que pour eux, ces vidéos sont encore plus utiles.

Communiquez-vous avec eux ? 

J.D. Je reçois beaucoup de commentaires avec des questions précises sur les vidéos, et j’y réponds aussi précisément que possible. Je trouve ça très important de ne pas simplement jeter mes vidéos dans la nature, et débrouillez-vous avec. Si quelque chose n’était pas clair et que quelqu’un me demande une précision, je trouve que c’est indispensable d’être disponible pour cela.

Depuis la création de cette chaîne, j’ai eu de nombreuses demandes de cours « en ligne » c’est à dire à distance, de violoncellistes qui souhaitent aller plus loin avec moi. 

Vous disent-ils l’intérêt de ce média de leur point de vue ?

J.D. L’avantage d’une vidéo, c’est qu’on peut la regarder autant de fois que l’on veut, revenir en arrière, et donc s’imprégner de tous les détails. Alors évidemment ce n’est pas aussi personnalisé qu’un cours particulier, mais je fais le maximum pour m’adresser à tous les violoncellistes, en m’aidant de mon expérience avec tous mes élèves depuis plus de 10 ans, sans jugement et avec bienveillance. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur. 

Y a-t-il des cas remarquables ?

J.D. Alors les âges… mon record personnel est 85 ans ! (et en pleine forme !!!) Pour la distance, c’est l’Australie, une élève violoncelliste que je n’ai donc jamais rencontré ”en vrai” et qui a démarré le violoncelle avec moi. 

J’ai également un cas assez remarquable car j’ai un élève sourd. En fait, avant, je lui donnais cours en présentiel, mais comme il ne communique qu’en lisant sur les lèvres, le port du masque rend cela impossible. Du coup, je lui donne cours via Zoom, et ça fonctionne très très bien ! Il reconnaît la justesse grâce aux vibrations de l’instrument. Si l’instrument ne résonne pas, il sait qu’il joue faux. Et sa progression est tout à fait normale par rapport à mes autres élèves. Impressionnant, non ?

Avez-vous plusieurs niveaux ?

J.D. J’ai tous les niveaux. J’ai des débutants complets qui n’ont jamais fait de musique de leur vie. J’ai aussi des personnes qui savent déjà jouer, et qui viennent me voir pour un cours de temps en temps. J’ai enfin des musiciens professionnels qui souhaitent s’initier à un nouvel instrument.

Pensez-vous aborder d’autres modes d’intervention à long terme ? 

J.D. Je pense que l’enseignement à distance est possible, pour ceux qui n’ont pas un accès facile à un professeur qui leur convient, ou bien qui n’ont pas un emploi du temps qui leur permet de suivre des cours particuliers. 

Je prépare actuellement une formation entièrement en ligne, où je proposerai des cours en vidéo beaucoup plus approfondis et complets, avec un suivi régulier et personnalisé des élèves. Les élèves seront en mesure de commencer le violoncelle depuis le début, à leur rythme et chez eux. Cette formation sera disponible fin 2021 sur mon site internet jeannedorche.com.

Pensez vous réellement qu’on pourra apprendre le violoncelle entièrement à distance ? 

J.D. Oui, je pense que c’est un défi à relever mais ce n’est pas impossible. En réalité, il existe une infinité de méthodes différentes d’enseignement, et l’enseignement à distance en est une de plus, qui n’est pas nouvelle. On peut suivre une scolarité entière à distance, du CP à la Terminale. On peut apprendre le japonais, la cuisine ou le tricot à distance. Cela n’a jamais fait autant de débat qu’aujourd’hui avec les cours de musique. 

Par contre je pense qu’il est impossible d’apprendre un instrument sans professeur. Dans ma formation entièrement en ligne, j’accompagnerai personnellement chaque élève. Cela me paraît indispensable. 

Et puis apprendre un instrument de musique à distance ne veut pas dire qu’on va jouer seul(e) devant son ordinateur, sans jamais partager son plaisir avec d’autres, et sans jamais sortir de chez soi. Il existe de nombreuses occasions de se retrouver, comme par exemple des séjours musicaux. J’ai été moi-même longtemps professeur à Accordissimo, un stage en région parisienne qui accueille quatre fois par an des musiciens de tous âges et de tous niveaux. C’est une super opportunité de se retrouver, et de vivre une semaine intense de musique ! 

Après la fin de la crise sanitaire, comment voyez-vous l’avenir de ces pratiques ?

J.D. Je pense que la crise sanitaire a profondément changé les mentalités sur l’enseignement à distance. Moi-même, avant, je ne donnais jamais de cours en ligne. Ces derniers mois, la plupart des professeurs de musique ont été contraints d’enseigner à distance. 

Mais… Cette crise est-elle une raison pour se priver de musique ? Se priver du rêve de commencer un instrument ? De se faire plaisir en jouant de la musique ? Certaines personnes, il y a un an, n’imaginaient même pas pouvoir jouer du violoncelle. Elles vivaient beaucoup trop loin des conservatoires, et ne trouvaient aucun professeur particulier. 

Aujourd’hui, c’est possible pour elles de commencer le violoncelle, et je m’en réjouis !

Les conditions actuelles ne sont pas roses, mais la vidéo permet aux amateurs de se faire plaisir et aux autres de continuer à progresser. Pourquoi ne pas saisir l’occasion ?

Propos recueillis par Lana Beltrami

Pour la revue « Le violoncelle » de Mars 2021 N°77 adressée aux adhérents de l’Association Française du Violoncelle.
www.levioloncelle.com